Proportionnelle : le paravent d’une impuissance politique
Quand changer les règles devient plus facile que changer les pratiques
La relance du débat sur l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives est présentée comme modernisation face à la crise de représentation. En réalité, elle constitue surtout un paravent destiné à masquer l’impuissance des partis politiques et de leurs dirigeants à assumer pleinement leur mission collective.
Le dévoiement du principe de représentation
Ce n’est pas la tripartition, ou plutôt la penta, voire hexa-partition de notre paysage politique, qui explique les blocages institutionnels actuels. C’est la préférence des dirigeants pour la protection de leur “pré carré” plutôt que l’engagement dans une dynamique de coalition et de compromis. La démagogie a créé le problème ; elle prétend aujourd’hui le résoudre par un artifice de procédure.
Derrière le mirage d’une représentation plus respectueuse des minorités politiques, on oublie que la loi des grands nombres fonctionne et assure déjà une représentation juste. Hier encore, le Rassemblement national hurlait à l’injustice électorale ; aujourd’hui, il dispose d’une représentation parlementaire fidèle à son poids électoral (certains, au mépris des électeurs, pensent même que leur poids est trop fort). Qu’aurait changé la proportionnelle dans l’équilibre des forces à l’Assemblée nationale ? Pas grand-chose en termes de justice électorale. Et sûrement pas mieux en termes de stabilité politique et de clarté du débat parlementaire.
Cette illusion d’injustice électorale rejoint d’ailleurs une autre tendance actuelle : celle qui prétend corriger la représentation par des règles imposées d’en haut, au nom de la parité et de la diversité.
La tendance des dirigeants de partis à s’exonérer de leur responsabilité
L’argument d’une meilleure “représentation” — au nom de la parité ou de la diversité — déplace le débat et encore une fois montre la désinvolture des dirigeants politiques s’exonérant de leurs responsabilités. La mission du député n’est pas de représenter une sociologie ou une identité, mais un territoire, une communauté d’électeurs. La prise en compte de considérations de parité dans la constitution des listes se fait aussi, malheureusement, au détriment de candidats dont la valeur et le parcours sont parfois sacrifiés au profit de critères certes éthiques, mais inefficaces. La parité et la diversité ne se décrètent pas en haut de la pyramide, “pour l’exemple” (ou pire pour la photo !) : elles se construisent avec acharnement, depuis les bases militantes. C’est à ce niveau que les partis devraient agir ; en imposant artificiellement des règles de représentation, ils masquent leur échec à construire, patiemment, des équipes respectueuses de la diversité et de la parité.
Le renforcement du pouvoir des appareils partisans
Le principal effet de la proportionnelle serait de renforcer démesurément le pouvoir des partis. Les chefs de partis contrôleraient les investitures, imposant une logique clanique au détriment de la compétence ou de l’engagement envers les électeurs. L’émergence de personnalités libres et audacieuses serait freinée au profit d’une armée de petits soldats, professionnels de la politique, dont la carrière dépendrait plus des appareils que du suffrage direct. Les seconds couteaux, assurés qu’un jour leur tour viendra et qu’ils recevront un bâton de maréchal en récompense de leur loyauté indéfectible au chef, auraient davantage intérêt à attendre leur heure qu’à faire preuve d’audace et de compétence. Le pire en politique, c’est la dynamique des éternels perdants qui peu à peu confortent leurs places sans faire de vague.
Le rôle oublié du Sénat
Certains oublient aussi que nous avons déjà en France une chambre fonctionnant selon un principe de “proportionnalité indirecte” : le Sénat. Dans les départements les plus peuplés (55 départements, représentant 80% de la population), il s’agit d’un scrutin proportionnel sur liste fermées.
Le Sénat est le reflet d’un équilibre territorial, plus stable, moins sujet aux passions du moment. Les pères de la Ve République — notamment Michel Debré et le Général de Gaulle — ont conçu ce bicaméralisme pour préserver l’équilibre institutionnel : une Assemblée nationale issue du suffrage universel direct, soumise aux à-coups de l’opinion ; un Sénat, garant d’une certaine continuité et d’une représentation plus enracinée.
Vouloir imposer la proportionnelle à l’Assemblée nationale, c’est méconnaître ce système d’équilibre. C’est également nier la réalité déjà existante d’une chambre échappant aux emballements politiques et assurant une représentation proportionnelle.
Il y a certainement des améliorations à apporter dans le mode de désignation des candidats aux élections sénatoriales : la légitimité politique de ceux qui finissent par s’imposer à l’usure est effectivement pernicieuse. Le renouvellement politique, c’est d’abord la responsabilité des partis politiques, et non l’effet de réformes institutionnelles imposées d’en haut pour masquer leur échec à produire des élites nouvelles.
Restaurer l’esprit politique
D’aucuns nous proposent une refonte de nos institutions. N’en déplaise à Monsieur Mélenchon, qui après avoir échoué aux élections présidentielles, a prétendu se faire élire Premier Ministre, et plus récemment, a affirmé son droit à nommer une Première Ministre fictive, la VIe République qu’il nous promet existe déjà : elle s’appelle la Ve ! Il suffit de respecter nos institutions, sans interventions vicieuses et dévoyées pour s’approprier et confisquer le pouvoir.
La VIème République ? C’est la Vème sans Méléchon…
Certes, notre système est imparfait. Mais la loi des grands nombres fait que l’Assemblée nationale, dans son ensemble, reste le reflet de la société française. Ce n’est pas en empilant les artifices de représentation que l’on corrigera les défaillances politiques ; c’est en restaurant l’exigence intellectuelle, l’esprit de service, et la responsabilité véritable envers les électeurs.
À défaut de courage politique, aucune réforme de procédure ne sauvera la démocratie ; elle ne pourra renaître que par la qualité des hommes et des idées.
La démocratie n’est pas un cliché figé pour satisfaire l’instantanéité.
C’est vanité et aveuglement que de croire qu’une soit-disant réforme institutionnelle, avec l’affichage instantanné d’un résultat trompeur, remplace le travail de reconstruction des partis. Les formations politiques devraient abandonner Instagram et se remettre au travail.
Certains l’ont compris.1
pour ceux qui “n’ont pas la ref”, lisez la bio de l’auteur… #Horizons…